Sylvain Pourchet est médecin généraliste, très impliqué dans les questions de fin de vie, et travaille notamment sur les dimensions soins palliatifs, médecine de la douleur et médecines complémentaires.
Il suit le parcours de l’Association « Les Audacieux » depuis sa création, il nous parle ici du bien vieillir et nous donne son point de vue sur le projet Maison de la Diversité…
Allongement de la durée de vie, vieillissement de la population, vers quelle Société s’oriente-t-on ?
Nous sommes une société qui vit plus longtemps en bonne santé ou avec des pathologies mieux contrôlées, c’est un fait avéré.
Et, notamment grâce aux progrès de la science, on pourrait même envisager une espérance de vie pour l’espèce humaine au-delà de 100 ans, d’ici quelques décennies…
Mais on confond souvent vieillissement et maladie. Ce qui fait peur c’est moins le vieillissement que la maladie et la dépendance. Or, si la maladie concerne certaines personnes, tout le monde va vieillir, c’est à dire vivre plus longtemps.
C’est le rôle de la médecine que de « réparer » ce qui est malade, de corriger un dysfonctionnement ou de prévenir certains risques : il y a par exemple beaucoup d’avancées prometteuses sur les possibilités de « détoxifier » l’organisme des produits de dégradation du stress physiologique.
C’est le rôle de chacun, et à tout moment de sa vie, que d’agir en utilisant les déterminants qui permettent de rester en bonne santé : l’alimentation, l’activité physique, la vie relationnelle.
Donc oui, on a bien une perspective de vivre en bonne santé, plus longtemps, à travers un double régime : personnel et médical.
Venons-en maintenant au projet Maison de la Diversité : les réalisations d’habitats inclusifs se multiplient, ils sont très variés. La Maison de la Diversité lutte sur la dimension « discriminations », liées à l’âge et à l’orientation sexuelle. Pourquoi s’agit-il de facteurs aggravants sur le bien vieillir de la personne ?
La discrimination liée à l’âge elle n’est pas nouvelle, et le « jeunisme a de tout temps été à la mode. La place des vieux questionne. Chaque société y répond différemment, de l’exclusion à la révérence, de la bouche de trop à nourrir de « la ballade de Narayama » au sage Yoda vers lequel on se tourne dans la Guerre des étoiles.
A quel âge est-on vieux aujourd’hui ? 60 ans (comme l’OMS le définit encore), 70 ans, 80 ans, 90 ans, 100 ans ? Et du coup, pendant combien de temps est-on vieux ? L’allongement de l’espérance de vie nous fait modifier nos représentations. Les choses vont dans le bon sens pour notre époque, du point de vue de l’évolution des mentalités et aussi de la part des pouvoirs publics qui font évoluer règles et normes de façon inclusive : les vieux prennent leur pleine place dans la société et échappent ainsi à la caricature du retraité hors du monde.
Développer l’autonomie est une chose, soigner tout ce qui doit l’être en est une autre : les besoins médicaux évoluent. La durée des traitements s’allonge à mesure que l’espérance de vie augmente ; on découvre aussi des pathologies liées au très grand âge car notre époque est la première à pouvoir l’atteindre.
Nos différents systèmes de solidarité doivent donc être pensés différemment et sur une plus longue durée. C’est une organisation sociale nouvelle à imaginer.
Les discriminations liées à l’orientation sexuelle ou identité de genre sont un facteur s’ajoutant à toutes les autres formes de discrimination. Quelle qu’en soit l’origine, l’exclusion est très mauvaise du point de vue de la santé psychique. Je ne parle pas des autres points de vue !
On connait mieux aujourd’hui les mécanismes du cerveau et on sait par exemple que les situations d’exclusion, dans l’enfance, dans la cour d’école, activent les mêmes réseaux neuronaux que la douleur. Et la douleur quand elle se prolonge, la douleur chronique, produit de l’isolement, du repli sur soi, et créée des pathologies dépressives.
Donc tout ce qui va dans le sens de l’inclusion, comme l’expérimentation d’un habitat inclusif ou collectif, est positive aussi sur le terrain médical.
Le projet Maison de la Diversité est axé autour d’un projet social animé par les seniors habitants de la maison : en quoi un collectif peut-il favoriser le « mieux vieillir » ?
Notre organisme est une machine unique qui s’use si on ne s’en sert pas !
Si je réduis mon activité physique, je suis moins apte à bouger,
Si je réduis mon activité sociale, je suis moins apte à développer des relations et du lien,
Si je réduis mon activité intellectuelle, je fais moins travailler ma mémoire, ma curiosité, mes capacités d’apprentissage.
…Toutes nos fonctions vitales sont des fonctions à entretenir et même à entretenir dans le registre du plaisir à vivre car, cerise sur le gâteau, cette hygiène n’est jamais aussi efficace que lorsqu’elle est guidée par l’agréable !
A travers le projet Maison de la Diversité, on a la description de ces ressources ainsi agréablement stimulées.
Souvent on dit à la personne âgée, « je m’occupe de tout », « je fais à ta place » mais dans ce cas, on encourage une passivité. Alors que c’est l’inverse qu’il faut faire.
Dans la Maison de la Diversité, le projet est autoporté, les personnes sont impliquées pour trouver les meilleures ressources pour avancer vers leur désir.
Dans un collectif elles vont continuer de développer le jeu social, aller vers les autres, construire des alliances, dépasser les freins et résoudre des difficultés. Prendre des initiatives, ressentir des frustrations et des satisfactions…. En fait, c’est juste la vie ! Pour vivre, et vivre en bonne santé, je dois utiliser ma créativité, mes compétences, mes émotions et mettre tout cela en mouvement par l’action de mon corps.
La Maison de la Diversité rend juste la mobilisation de ces ressources un peu plus accessible et c’est important. Nous avons tous vécu par exemple les traces de 2 années de pandémie sur nos initiatives. Les choses les plus simples, les plus spontanées sont devenues moins accessibles : il faut penser au masque, savoir s’il faut réserver, s’assurer d’être à jour d’un document… On est moins dans la spontanéité et cela suffit à réduire progressivement et parfois insidieusement notre vitalité, nos désirs…. Si on regarde la fréquentation des cinémas, des théâtres, des musées, pourtant réouverts depuis longtemps, on observe que l’envie d’y retourner n’a pas retrouvé son niveau antérieur. L’apport de la Maison de la Diversité c’est de rendre plus accessible l’envie de faire des choses concrètes et surtout leur réalisation, par le dépassement d’un seuil de frustration. Quand je suis allé faire mes courses (plutôt que de me faire livrer à domicile), quand j’ai parlé avec mon voisin (plutôt que de rester devant ma télé), ma journée est meilleure.
Le projet de la Maison de la Diversité facilite donc la vitalité et l’envie dont nous parlons tout simplement en rendant certaines actions plus faciles, parce que chacun fait sa part du chemin à la mesure de ses ressources : le résident et la structure qui l’accueille. Tout le monde joue le jeu dans la définition et la réalisation du projet.
Stimulation intellectuelle, activité physique et interaction sociale sont les clés du mieux vivre donc aussi du bien vieillir. Comme c’est une évidence, donc il est bon de la rappeler car c’est bon pour la santé !
Les habitants de la Maison de la Diversité vieilliront : face à la perte d’autonomie de la personne au sein de la maison, vers quoi peut-on aller ?
Je vois ici deux questions.
La première est d’ordre général, je dirais presque existentiel. A chaque âge, ses préoccupations. Vouloir savoir comment pourraient se terminer ses jours est une question tout à fait normale quand on avance dans la vie et qui doit pouvoir être évoquée. Mais avec qui en parler ? C’est un sujet qui peut être sensible. Aussi observer comment d’autres vivent cette question permet de se situer... C’est souvent au travers de ce que je vois autour de moi, des conversations que j’ai pu avoir, des témoignages que j’ai pu écouter, que je vais trouver « ma solution ». Là aussi, tout ce qui favoriser ce jeu social va m’aider à construire ma réponse, mes préférences, si on peut utiliser ce terme en pareille circonstance.
L’autre question, c’est la perte d’autonomie avec la maladie.
Dans ce cas-là, nous n’activons pas les mêmes ressorts. On est dans un partenariat avec la médecine et les professionnels de santé et des professionnels de l’aide à domicile. On est dans un dialogue spécialisé dans lequel il faut avoir les bons interlocuteurs.
La médecine gériatrique qui se développe aujourd’hui, s’adapte, expérimente et innove. Les innovations par exemple avec les nouvelles technologies sont en train de changer les conditions du maintien à domicile…
La nature des interventions à proposer est différente. Registre social dans un cas, intervention de professionnels dans l’autre. Et la combinaison des deux est une bonne réponse. C’est tout simplement la complémentarité des deux dimensions (le médical et le collectif) qui fait que l’on est vivant. Et, j’y reviens, une structure comme la Maison de la Diversité ou tout autre type d’habitat collectif rend plus accessibles et donc plus opérantes ces ressources.
A terme, comment pourrait-on mesurer sur une population ciblée, les effets d’une vie en collectif au sein de la Maison de la Diversité par exemple ?
L’évaluation des différentes expérimentations d’habitat collectif pour seniors existe mais elle est limitée au recul de quelques structures, depuis quand même plus d’une dizaine d’années pour les initiatives pionnières. Elles sont donc très importantes mais pas forcément généralisables.
Ensuite l’évaluation que l’on a tendance à mesurer est quantitative, parce que c’est le plus facile. On peut évaluer la consommation de médicaments par exemple, le nombre de recours aux consultations médicales, l’espérance de vie…Mais ce n’est pas suffisant.
Aujourd’hui, des chercheurs s’orientent vers des études dynamiques, via des mesures qualitatives en s’intéressant au parcours de vie de la personne. Les chercheurs en sciences humaines, sociologues, anthropologues peuvent nous aider à mesurer ces évolutions de vie, pour toujours mieux adapter les réponses au mieux vieillir.
L’autoévaluation est aussi un axe à creuser dans une Maison de la Diversité mettant en avant l’initiative et l’autonomie. Quel est le marqueur le plus pertinent pour rendre compte de l’intérêt de l’expérience que je mène ? On est presque alors, autant dans une dimension scientifique que militante !