Les Audacieuses, Danièle et Do, ont eu la chance de pouvoir partir en Belgique pour visiter des habitats partagés, dans le cadre de RAPSoDIÂ. Voici leurs ressentis et un avant-gout de la réunion du 24 juin 2022.
RAPSoDIÂ, c’est quoi exactement ?
Do : RAPSoDIÂ (Recherche Action Participative SOlidarité Domicile Innovation dans l’Âge) est le titre d’une recherche action participative, initiée par l’association Hal’âge, portée par différents partenaires, et qui regroupe des universitaires, des co-chercheur.ses ayant un intérêt à la question et des co-chercheuses (oui, il n’y avait que des femmes dans ce groupe !) de terrains (habitats existants ou en projet à travers la France). Son but, explicite dans l’acronyme, est la recherche de concepts innovants en matière d’habitat, d’environnement et sur différents sujets liés à ces thématiques en ce qui concerne plus particulièrement les personnes vieillissantes.
Danièle : c’est effectivement une recherche nationale française initiée par l’association Hal’âge (« Un chemin pour un habiter innovant dans l ‘âge »). Hal’âge se donne pour but de développer un partenariat dans un travail collaboratif entre les personnes concernées et les chercheur.es qui travaillent sur ce thème afin de créer un réseau d’échanges et de ressources pour promouvoir particulièrement « l’habitat participatif ».
Avec RAPSoDIÂ, cela permettra de formaliser une méthodologie ainsi que développer un réseau pour l’alimenter des ressources qui seront obtenues par parcours d’habitants, voyages d’études, et recherches universitaires.
C’est dans ce cadre que nous nous sommes rendus en Belgique ou plutôt rendues.. car nous étions une majorité de femmes aussi bien dans le groupe des aînées que dans celui des chercheuses.
Un voyage à Bruxelles dans le cadre de RAPSoDIÂ… mais pourquoi donc ?
Aller en Belgique, notre voisin si proche à bien des égards, nous a permis pourtant de décentrer notre regard sur les sujets qui nous occupent dans RAPSoDIÂ : oui, il est possible de faire autrement, d’inventer d’autres façons d’habiter dans la vieillesse, en solidarité et respect de la citoyenneté de chacun.e. C’est ce que nous dit la Belgique, où des projets d’habitat solidaires et participatifs, véritablement soucieux du vieillissement de leurs habitants et économiquement accessibles, se sont développés plus tôt qu’en France.
Qu’imaginiez-vous découvrir en partant en Belgique ? Qui avez-vous rencontré ?
Danièle : En partant en Belgique, je souhaitais échanger et partager avec les participantes qui sont sur des projets en France, et découvrir ceux qui sont déjà créés en Belgique.
Le voyage a été parfaitement organisé, tant au niveau de l’hébergement dans un hôtel bien situé à Bruxelles et que des rencontres, conférences-débats et moments de détente et de convivialité pendant les déjeuners.
Avec les participantes venues de plusieurs régions de France, j ‘ai pu échanger sur leur projet réalisé ou en cours de l’être, ainsi que sur leur parcours personnel qui les a amenées à faire ce choix d’habitat.
Ce séjour, agrémenté d ‘une météo clémente a été riche en discussions et partage d’expériences dès le petit déjeuner à l’hôtel, dans les transports et le soir dans les restaurant choisi pour le dîner.
Dans chaque lieu visité, en plus des présentations et conférences, nous avons aussi pu, même brièvement, parler avec les habitants-es lors des visites de leur appartement privé.
Ces visites de lieux très différents les uns des autres, tant au niveau du quartier que des habitants et des structures de conception m’ont permis en étant dans le « réel » de mieux visualiser et affiner mon propre projet personnel quant à mon futur habitat participatif.
Do : Le programme du voyage en Belgique était très riche et enthousiasmant avec des présentations théoriques (association belge Habitat et participation, acteur.rices investi.es de différentes manières dans l’habitat partagé) et de nombreuses visites.
Chacun des groupes représentant un des terrains avait préparé une grille de questions destinées plus particulièrement à l’un des habitats visités, mais chacun.e pouvait bien sûr intervenir n’importe où.
J’étais très heureuse de visiter des lieux existants, de conception, de modalités de création, de fonctionnement et de finalités différentes, et de pouvoir ainsi confronter mon approche théorique à des réalisations très concrètes de la vie quotidienne.
Le séjour a été riche et intense. L’organisation parfaite et les rencontres, que ce soit avec les personnes du groupe RAPSoDIÂ ou dans les lieux visités plus qu’agréables. Les discussions nombreuses (dès le petit déjeuner, dans les transports, pendant les repas partagés ou les visites) vraiment enrichissantes. Les personnes, que ce soit de France ou de Belgique ou notre compagne allemande, très ouvertes et sympathiques, prêtes à répondre aux questions, à réfléchir, à expliquer.
Nous avons retrouvé dans la réalité et les échanges plusieurs des thèmes auxquels nous avions réfléchi pendant les ateliers de co-construction. Cela nous a permis de toucher du doigt que nos réflexions théoriques avaient vraiment une nécessité et leur correspondance dans la réalité.
Quelles structures avez-vous visité et pourquoi ?
Dans ce pays de 11 million et demi d’habitants, caractérisé par une densité de population élevée, la question du logement abordable pour les populations les moins aisées est encore plus préoccupante qu’en France. La part du logement social n’est que de 5,4 % (16% en France), tandis que le taux d’effort des ménages pour se loger est bien plus important en Belgique qu’en France.
L’association « Habitat et Participation », que nous avons rencontrée, a été fondée en 1982 au sein de la Faculté d’Architecture de l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve, afin de promouvoir un habitat innovant et peu cher, dans une démarche qui associe dès le départ recherche universitaire et pratique militante.
« Habitat et Participation » a ainsi accompagné les premières expériences puis le développement de ce qu’on appelle en Belgique « l’habitat groupé » (auquel on adjoint le plus souvent les termes de solidaire et/ou participatif). L’habitat groupé, issu de l’habitat communautaire des années 70, prend en compte le nécessaire respect de la vie privée en imaginant des logements indépendants, mais proches les uns des autres et qui permettent le lien social entre voisin.es. Ce type d’habitat veut faire face, en solidarité et citoyenneté, à des vulnérabilités dont les origines sont diverses (handicap, précarité, monoparentalité, immigration, vieillissement…).
A côté de l’offre traditionnelle de logement dans la vieillesse constituée par les maisons de repos pour personnes âgées, les maisons de repos et de soin et les résidences services, s’est développé une offre alternative d’habitat partagé, ainsi que plusieurs projets d’habitat groupé, qui nous intéressent tout particulièrement.
Contrairement à ce qu’il s’est passé en France – où l’habitat groupé autogéré qui s’est également développé dans les années 80 ne concernait que des familles avec enfants plutôt issues de la classe moyenne – l’habitat groupé belge comprend des habitats intergénérationnels où les seniors sont présents dès le départ et quelques habitats réservés aux seniors.
Les questions d’accessibilité économique et de solidarité de voisinage sont au cœur de ces habitats, tels les Béguinages et les maisons Abbeyfield. Nous avons découvert ces deux concepts dans le cadre de la visite du Jardin du Béguinage et de la maison Abbeyfield du Martin-Pêcheur à Bruxelles. Déjà anciens, ces projets permettent d’appréhender comment le vieillissement des habitants est envisagé et trouve des réponses pratiques au fil du temps.
Nous avons également visité la maison Biloba, dont l’originalité est d’émerger autour de la thématique du vieillissement d’une population d’origine immigrée dans le quartier populaire du Brabant à Bruxelles.
Enfin, l’îlot CALICO, tout juste réalisé grâce à des fonds européens, illustre la façon dont ces questions de logement abordable et de solidarité citoyenne se renouvellent encore aujourd’hui à Bruxelles, au travers de montages juridiques originaux (coopérative, community land trust) et de projets sociaux innovants : Pass’âge veut mettre « la naissance et la mourance au cœur de la vie », tandis qu’Angela D « prend le logement comme base d’émancipation des femmes ».
3 ou 4 choses qui vous ont inspiré ou interpellé ? Des idées que vous voulez proposer aux Audacieux.ses pour enrichir le projet de vie sociale et partagée de la Maison de la Diversité ?
Do : Ce voyage a renforcé ma position ou m’a amené à approfondir ma réflexion sur plusieurs points, en particulier :
- La réalisation sera toujours en retrait du projet initial. Des concessions seront obligatoires, il faudra faire des choix, renoncer à certaines envies. Définir ce qu’on accepte d’abandonner et ce sur quoi on ne veut pas céder mais savoir qu’il faudra laisser de côté une partie de “la lettre au père Noël” ;
- L’importance de l’aspect purement architectural (espaces communs, espaces de circulation, lieux d’échange spontanés…). Il faut absolument y penser en amont car ensuite c’est évidemment trop tard pour rectifier ;
- Quel que soient la profondeur, le niveau de détails et la diversité des réflexions menées en théorie, il y aura toujours des questions ou des problèmes qui n’auront pas été envisagés.
J’ai aussi retenu bien sûr, une nouvelle fois, le temps long inséparable de tels projets et la nécessité de beaucoup d’investissement personnel.
Je pense qu’il faut insister sur le fait qu’un habitat partagé n’est pas seulement un habitat. Cela implique un certain mode de vie et d’ouverture aux autres, une approche particulière. Cela s’apprend, se réfléchit. On nous l’a redit à plusieurs reprises.
Je crois aussi qu’il faut vraiment penser à une forme de médiation, au risque de ne pas réussir à gérer les inévitables conflits. Mais les avantages de ces types d’habitats, par ailleurs très divers, me semblent quand même indiscutables.
Ce voyage m’a surtout confortée dans l’idée que je tiens vraiment à un tel projet pour mes futures années, même si c’est difficile, même si c’est long, même si c’est décevant parfois, même si…
J’ai eu beaucoup de plaisir à en parler au retour et à continuer d’y réfléchir et de me documenter.
Danièle : C’est justement en confrontant la « réalité » avec ce qu’ on a réfléchi entre nous que nous pourrons avancer vers un approfondissement de notre réflexion.
– Nous serons amenés à sélectionner ce qui est fondamental pour nous et ce qui l’est moins, donc accepter d’abandonner ou non certains de nos désidératas. Ce seront des concessions volontaires pour ajuster avec la réalisation concrète.
– Être au clair avec l’espace que nous imaginons au niveau architectural qui a son importance : lieux de circulation, espaces communs et lieu d’échanges, espaces privatifs. Choix du quartier, des espaces naturels et environnementaux.
– Même si tout le travail en amont ; les recherches, les visites, échanges, ateliers de co-construction etc.. permettent de concevoir notre rêve d’habitat participatif, il y aura des nouvelles questions et ou problèmes auxquels nous n’aurions pas pensé qui pourront survenir et nous devons nous y préparer.
Les projets d’habitats participatifs sont des « projets de vie » qui impliquent le partage, la bientraitance, l’ouverture aux autres, la solidarité et l’entraide
Jusqu’où ? cela reste à être réfléchi, pensé et organisé.
Ces projets demandent des investissements personnels pour être enfin réalisés et répondre à notre demande.
Il nécessite aussi de se connaître et de se choisir un minimum. D’où l’idée d’organiser un séjour d ‘une certaine durée pour nous connaitre un peu plus.
Nous aurons besoin par moment de médiation pour nous aider et nous soutenir quand nous rencontrerons des problèmes, tels que conflits et conduites difficiles de certaines personnes qui pourraient déstabiliser le fragile équilibre humain de cet habitat.
Pour moi, cela me conforte dans ce choix d’habitat et j’espère que ce ne sera pas dans trop longtemps…