Antoine Gérard est sociologue spécialiste du vieillissement, responsable de la recherche chez Domitys où il travaille notamment sur la qualité de vie. Il est aussi l’auteur de SocioGérontologie, le podcast pour comprendre les vieux.
Il nous explique sa vision sur le concept Maison de la Diversité, porté par les Audacieux…
« Le projet Maison de la Diversité est intéressant a plus d’un titre.
D’abord parce que c’est un concept novateur et ambitieux, audacieux même (sans mauvais jeu de mots) !
Depuis quelques années, on assiste au boom des habitats collectifs, participatifs, intergénérationnel, mais pour « faire communauté », il ne suffit pas de se dire, « on se réunit et on imagine un projet », il ne faut pas faire l’erreur de penser que pour que ça marche il suffit de mettre des gens les uns avec les autres. Le vivre ensemble ne se décrète pas. Il se construit. Il faut avant tout avoir des valeurs à partager.
Et dans le cas présent, quand les Audacieux font le choix assumé de proposer un concept gay-friendly, c’est parce qu’ils ont des valeurs à partager et des objectifs communs. Les seniors LGBT partagent des luttes, des histoires qui leurs sont propres. Et la force du projet c’est son parti-pris : oui, aujourd’hui il y a un vrai besoin pour les gays de ne pas être stigmatisés.
Comment faire en sorte de bien vieillir en étant gay sans qu’il s’agisse d’une peine supplémentaire ?
La vieillesse nous concerne tous. Le corps qui vieillit, les impacts psychologiques, le rapport à la mort… Les contraintes de la vieillesse n’épargnent personne. Bien sûr on va le vivre différemment selon son histoire, ses ressources, mais au final le vieillissement nous rattrape tous. Et aujourd’hui face au vieillissement, on a un système qui tient en partie grâce aux aidants (la famille proche, les enfants). Mais par définition, la population senior LGBT dispose de moins d’aidants familiaux. Et pourtant le besoin d’aide est bien présent.
Et lorsque les solidarités familiales ne peuvent pas s’appliquer, il faut chercher à en inventer de nouvelles, de voisinages par exemple. C’est ce que propose le projet Maison de la Diversité : la solidarité, l’entraide entre voisins. Et alors le collectif prend un nouveau sens, il ne s’agit pas d’être ou de vivre ensemble mais de faire ensemble.
Mais attention, je le répète mais la dimension collective, le « vivre ensemble », n’a du sens que parce que les habitants partagent des valeurs, un langage, des objectifs.
Affirmez vos couleurs !
Les Audacieux ne doivent pas craindre de passer pour un ghetto, ils doivent assumer le fait que oui, ce projet d’habitat inclusif ne s’adresse pas à tout le monde, il s’agit d’une réponse précise à des personnes qui risque l’exclusion, à des gens qui ont besoin d’aide.
Parce que finalement pour que le concept d’habitat inclusif fonctionne, il faut qu’il soit au contraire exclusif. Pour qu’un projet marche, il doit se construire autour de valeurs fortes.
Les pays du nord de l’Europe l’ont bien compris. Il y a déjà des habitats communautaires pour senior LGBT (en Allemagne, en Scandinavie) mais il y a aussi pléthore de concepts centrés sur une passion commune (les arts, la musique, etc.), d’autres centrés sur une pensée commune (qu’il s’agisse d’une pensée politique ou d’une pensée cultuelle). ça a du sens !
En résidence service senior, par exemple, mettre des gens ensemble ne suffit pas. Parce que oui, dans une résidence senior tout le monde ne s’entend pas avec tout le monde. L’enjeu est de repérer les gens qui pourraient avoir des affinités et de permettre qu’ils se rencontrent. C’est tout le sens de nos nombreuses activités que nous organisons, et qui sont d’ailleurs souvent ouvertes aux non résidents : permettre que les gens se rencontrent, se découvrent des affinités, des points communs, et apprécient passer du temps ensemble.
Un conseil pour la fin ?
Si j’avais un conseil à donner aux Audacieux et au porteur de projet, ce serait tout simplement : affirmez résolument votre idée forte, votre mission. Ne la diluez pas.
Avec les Audacieux vous avez une mission claire : Faciliter la vie au grand âge de personnes qui cumul en plus des contraintes de l’âge, à la fois des discriminations liées à leurs orientations sexuelles, et l’absence d’aidant familiaux. Le besoin est réel et important. Certes il ne concerne qu’une minorité de personnes vieillissantes, mais vous n’êtes pas là pour « sauver le monde », vous apportez simplement une réponse pertinente à un besoin et participez ainsi à l’édification du « mieux vieillir ».
Pour écouter les podcast d’Antoine Gérard : C’est par là !
